C'est une première dans l'histoire de la République populaire de Chine : au lendemain des violentes émeutes qui ont ensanglanté Urumqi, les autorités ont "invité" les correspondants de la presse étrangère à Pékin à couvrir l'événement. Une décision qui a permis aux journalistes de se déplacer à leur guise dans les rues de la ville, y compris dans les périodes de grandes tensions, notamment quand une foule de Hans ont défilé dans le but avoué d'aller "casser" du Ouïgour musulman, ces derniers étant accusés d'avoir déclenché les émeutes.
Certaines équipes de télévision et des photographes ont bien été, ç.à et là, empêchés de faire leur travail par la police ou menacés par des manifestants en colère mais, dans l'ensemble, les envoyés spéciaux ont travaillé dans des conditions inédites de normalité. Reste à savoir si cette attitude constitue une exception ou si elle inaugure une nouvelle règle.
Cette ouverture aux médias étrangers qui, depuis le début de 2007, n'ont plus besoin de demander une autorisation de reportage quand ils sortent de Pékin - à l'exception notable du Tibet - ne préfigure pas un soudain sursaut démocratique du régime en ce qui concerne la liberté d'expression. Au contraire : la direction du Parti communiste ne cesse, depuis la période préolympique de 2008 et en cette année du 60e anniversaire de la République populaire, de montrer les signes renouvelés d'une crispation autoritaire et d'un durcissement de sa politique.
Le China Daily, destiné à un lectorat étranger et anglophone, a justifié cette nouvelle stratégie médiatique en expliquant que le pouvoir avait "tiré à Urumqi les leçons de Lhassa". Après les émeutes dans la capitale tibétaine, le 14 mars 2008, les autorités avaient tardé à réagir. Cette fois, "l'Etat a pris l'initiative en choisissant de donner aux reporters chinois et étrangers des informations sur ce qui se passait à Urumqi. Ce choix contraste fortement avec celui fait lors des émeutes de Lhassa", remarquait, dans le China Daily, Yu Guoming, vice-recteur de l'école de journalisme de l'Université du peuple de Pékin.
L'agence Chine nouvelle a en outre fait preuve de célérité en annonçant, le 5 juillet au soir, une heure après le début des violences, que des émeutes avaient éclaté. Après les événements de Lhassa, il fallut attendre douze jours pour qu'un petit groupe de journalistes soigneusement sélectionnés soit autorisé à se rendre dans la capitale tibétaine où on leur avait organisé une "visite" des plus encadrées...
Le régime a compris l'intérêt qu'il avait à jouer la transparence affichée au lieu de masquer une information qui finirait par transpirer sur Internet. In fine, l'objectif était que triomphe dans la presse la version officielle de Pékin, selon laquelle, à Urumqi, les émeutes ont été organisées par des "séparatistes" opérant à l'étranger grâce au "Congrès mondial ouïgour" dirigé par Rebiya Kadeer.
En élargissant la marge de manoeuvre des reporters, Pékin a sans doute fait une bonne opération : la presse occidentale a écrit et raconté que, pour une fois, les autorités ne l'ont pas empêché de travailler dans une ville qui venait de connaître ce qui a été l'une des plus terribles émeutes de l'histoire de la République populaire.
La communication de Pékin a évolué depuis un certain temps. Durant le tremblement de terre de mai 2008 au Sichuan, les responsables de la communication du ministère chinois des affaires étrangères avaient réagi rapidement en organisant un voyage pour des journalistes alors que, récemment encore, les catastrophes naturelles étaient classées "secret d'Etat"...
Une fois de plus, Internet et les informations filtrant sur une Toile chinoise, certes sous contrôle, expliquent l'évolution de la stratégie de communication de Pékin. Des faits divers autrefois passés sous silence déchaînent la colère des internautes au point où le régime juge parfois préférable de montrer que les messages ont été entendus plutôt que de laisser se développer sur la Toile une fronde aux conséquences imprévisibles.
Cette année, après la mort suspecte d'un détenu en prison, qui avait ému les internautes, ces derniers ont été conviés par les autorités du Yunnan, la province où avait eu lieu le drame, à créer un comité de "Net citoyens" pour faire la lumière sur cette mort. On apprit que le prisonnier avait été tué par ses codétenus.
Internet a beau n'être souvent que le miroir déformant, ou déformé, de la société, le régime prend en compte le fait que plus de 250 millions de Chinois sont des "surfeurs" invétérés. Comme l'explique Eric Sautedé, chercheur attaché à l'Institut interuniversitaire de Macao, "il ne s'agit plus de "cacher" la vérité ni de la "transfigurer" par l'édification, mais il s'agit toujours de contrôler les flux. En même temps, s'il est obligé de tenir compte de la réalité et des contraintes que les nouvelles technologies imposent, le gouvernement se sent assez fort pour s'en servir tout à la fois comme d'une arme offensive en matière de propagande et comme d'un agent de sa propre capacité à évoluer, prouvant en cela qu'il n'a rien perdu de son pragmatisme et de sa capacité d'adaptation".
amour chine
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